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"Ripley" l'histoire cynique d'un copy-cat

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Les plateformes se font une guerre sans merci pour attirer les regards. Jusqu'à présent Apple TV+ tenait le haut du panier avec quasiment 80 % de ses séries avec des qualités scénaristiques et surtout des directions artistiques particulièrement fortes. Cependant, Netflix, critiquée dans le fait d'être une usine à fabrication et non une vraie créatrice qualitative, s'affaire à rechercher parfois la petite perle qui fera parler d'elle en bien si ce n'est en mieux. C'est ce qui s'est produit pour la série allemande "Dark", celle anglaise "Black Mirror" et voici venue Ripley, mini-série satirico dramatique super léchée de 8 épisodes, néanmoins produite par sa petite sœur Showtime, Netflix lui ayant piqué la distribution.


Ripley c'est l'histoire d'un petit arnaqueur new-yorkais qui va être engagé par une famille bourgeoise, les Greenleaf, pour retrouver et ramener leur fils, Dickie, installé en Italie sans leur consentement, avec une femme, Marge, dont la famille l'accuse de tous les maux. Payé rondement, nourri, logé, blanchi, Tom Ripley ne tarde pas à céder aux sirènes de la liberté, d'autant plus qu'à New York, il habite un logement miteux, qu'il est a deux doigts de se faire attraper par la police. Il est, de plus, toujours entretenu malgré lui, par sa tante, substitue de sa mère, qu'il déteste cordialement, malgré tout l'amour qu'elle lui donne. Il part donc vivre une aventure en Italie, changeant sa vie à jamais. Ripley est une inième adaptation du personnage "Monsieur Ripley" créé par l'auteure Patricia Highsmith en 1955. Femme de caractère, fan de dérision et d'humour noir, qu'on retrouve dans ses récits. Elle était bisexuelle, un problème quand on vit dans les années 50 et dont on retrouve la thématique dans Mr Ripley. Je ne ferai pas de comparaison entre les œuvres de Mme Highsmith, ni avec toutes les autres adaptations, la vidéo et l'écriture étant pour moi deux outils créatifs différents. D'autant plus que d'autres s'amuseront à certainement écrire là-dessus (n'hésitez pas cependant, à lire les romans et à visionner les films précédents, qui ont chacun leurs charmes). L'auteur et réalisateur de cette nouvelle adaptation est Steven Zaillian, scénariste amoureux de l'Histoire ("La Liste de Schindler", "The Irishman") et de thriller ("The girl with the dragon tatto"). Il excelle ici à montrer toute sa connaissance en art, mise admirablement bien en image par le prolifique chef op Robert Elswit (des dizaines de récompenses dont celui de la meilleure image pour "There will be blood" rien que çà).


La série a été pensée en noir et blanc. Choix courageux de nos jours, notamment de la part de Showtime et Netflix, puisque la couleur règne en maitre ces temps ci. Un choix tout à fait logique par rapport à toute la réflexion créatrice autour de cette histoire : Nous sommes fin des années 50, début des années 60 d'abord, la couleur à l'écran n'existait pas. C'est également un hommage au cinéma italien de Fellini et Visconti, avec un décrochage sur le cinéma expressionniste au moment des délires de Tom Ripley, reflétant ainsi sa folie intérieure.

(Metropolis de F. Lang)

L'éclairage en noir et blanc colle bien plus au thriller, notamment avec des effets en parallèle avec l'histoire, très importante ici, de Le Caravage. Tom Ripley tombant littéralement en admiration devant les tableaux du Maître. Si vous ne connaissez pas Le Caravage, cela risque de vous posez quelques problèmes de compréhension pour entrer dans la dimension psycho-historique du personnage de Mr Ripley. (Google peut être votre ami sur ce coup là). Le Caravage était un peintre italien du XVI ième siècle, à la vie sulfureuse, dont on commence seulement à redécouvrir la véritable histoire pour des raisons obscures d'impopularité (et peut-être un poil de jalousie). Ce jeune peintre plein de fougue, révolutionna son art, par sa technique et ses œuvres hors normes. C'est un de ces rares peintres, devenus célèbres (comme Picasso, je vous dirai pourquoi j'y fais référence plus loin), durant sa vie. Pour faire très simple, Les peintures de Le Caravage sont composées par des clairs obscurs particulièrement radicaux, dans des scènes parfois violentes, des regards de personnages directs posés sur l'observateur, des visages grossiers, plein de vie et d'émotions fortes. C'était aussi un petit malin, qui arrivait à coller des idées modernes dans ses tableaux, comme l'homosexualité, malgré la pesanteur religieuse qui régnait en ce temps là. Effectivement, un jeune homme au regard lascif, cheveux au vent, portant une grosse corbeille de fruits, ce n'est pas complètement anodin et pas pour l'amour des pommes.

Tout ceci, nous le retrouvons dans cette série : des lumières saturées, des visages marqués, un 4e mur brisé (les personnages qui regardent le spectateur). Mr Ripley, c'est l'évolution de Le Caravage, apprenant la vie, courant après un idéal, doué dans ce qu'il fait (ici l'arnaque) mais poursuivi toute sa vie par la justice. Le Caravage fût accusé de meurtre et dû parcourir toute l'Italie pour échapper à son triste sort. Sort que Mr Ripley va devoir endurer, à la limite du burlesque dans certaines scènes ou nous le voyons faire des allers retours mémorables entre les grandes villes, mais aussi lors des scènes de meurtre, où il est obligé en moins de dix minutes, de partir, revenir, repartir parcequ'il a oublié un truc et encore revenir pour repartir une nouvelle fois. Ripley n'est pas une série simple. Je ne parle pas de l'histoire, mais de ses choix artistique et psychologique, extrêmement complexes. On l'a vu rapidement dans le travail de lumière en noir et blanc, qui nous marque dès la première image, mais aussi par le rythme du montage : très très lent au début, à la limite de l'hypnotisme, ce qui marque encore plus les scènes de meurtre, avec un montage cut plus rapide. Chaque plan, et je dis bien "chaque", est extrêmement détaillé. Je crois que j'ai rarement vu des plans aussi travaillés comme des peintures (rappelant celles de Le Caravage évidemment) : emplacement des objets, des personnages, angle des ombres, gros plans comme des natures mortes, plans larges tels des tableaux de paysages, écoulement du sang, etc. la direction artistique est colossale que ce soit pour la réalisation, le montage, mais aussi le choix des costumes (très importants puisque le personnage de Mr Ripley étant un copy-cat, doit se transformer en sa victime), des décors, mais aussi de la musique et aussi du son.



SPOIL !

Je ne développerai pas ici les choix sonores, mais restez bien jusqu'au bout du générique de fin, car c'est grâce au son que vous saurez où va se cacher Mr Ripley. Picasso y est pour quelque chose ! Bien que Tom Ripley évolue selon l'histoire de Le Caravage, c'est le Picasso qui nous indique le commencement de la transformation, avec un Mr Ripley, débutant, perdu aussi bien physiquement en Italie que mentalement avec sa schizophrénie (d'où le cubisme morcelé de Picasso) et la fin. Mr Ripley se connait enfin et il est prêt à vivre sa nouvelle vie dans un pays pas très loin de l'Italie où l'art est roi (je crois que je peux pas faire mieux niveau indice là...).

Je pourrais vous écrire des pages et des pages et vous réaliser une vidéo de quatre heures sur l'analyse artistique de cette série, mais je pense que vous avez compris le plus important et que vous vous ferez votre observation par vous même (sinon vous m'invitez dans un évènement et je vous fais une master class sur cette série :) ). Ce qui est important c'est aussi le comédien, Andrew Scott, qui interprète merveilleusement bien Mr Ripley. Andrew Scott, c'est un de mes chouchous, qui, je trouve, est sous exploité au cinéma. Où peut-être choisit-il scrupuleusement ses scénarios je ne sais pas. C'est essentiellement un acteur de théâtre d'une justesse et d'une émotion extraordinaires. Il est le pendant en brun de Leonardo di Caprio : émotions à fleur de peau, midle age et pourtant il parait 30 ans, personnages torturés, carrière exceptionnelle... Je rêverais qu'ils fassent un film ensemble où ils sont frères ennemis. Voyez donc la scène de Hamlet "Be or not to be" qu'il magnifie avec une présence sur scène exceptionnelle. Et pour les plus geeks d'entre nous, vous l'aurez certainement adoré en Moriarty dans Sherlock Holmes.


Toute cette force, il l'utilise dans ce personnage de Mr Ripley. C'est un psychopathe à tendance schizophrène. Certainement héboïdophrénie, c'est à dire avec des symptômes négatifs de la schizophrénie. Notamment un syndrome dissociatif, des délires illusoires, un repli sur soi, un manque d'empathie et un passage à l'acte criminogène, entre autres. Ce type de personnalité est difficile à interpréter, car il faut faire "semblant" de jouer des émotions simulées, sans que cela soit du jeu en soi. Subtile non? Andrew Scott est divin, ainsi que la plupart des autres comédiens et comédiennes. Seule exception, Eliot Sumener, fille de Sting, qui interprète Fredie Miles, un jeune homosexuel ami de la première victime de Mr Ripley. Malheureusement elle surjoue. C'est d'autant plus flagrant à côté de la finesse et du naturel d'Andrew Scott. Et franchement, le grimage pour la faire passer en homme est loin d'être persuasif, sans compter ses faux gestes masculins (genre "je roule des épaules") qui sont plutôt ridicules. Ce sera le seul bémol. Heureusement son personnage n'est pas très important.


Ripley, c'est aussi la découverte de l'homosexualité dans les années 50/ 60. Dans une Amérique puritaine, où cela était considérée comme une tare, l'Italie parait plus libertaire et un havre de paix pour Tom Ripley, en blocage total sur ses pulsions.

SPOIL !

Il acceptera cela seulement à la fin, en redevenant Tom Ripley. Dans une des scènes finales, il avoue que Dickie l'aimait mais que seuls, sa compagne, Marge, et lui-même le savaient. Dickie n'acceptait pas son homosexualité bien qu'il admette que sa compagne est juste une amie. Tom a de l'attirance pour Dickie et certainement des pulsions sexuelles réprouvées en continue (voir scène des "nageurs faisant la pyramide sur la plage"). Par contre, il n'est vraiment pas sûr que Tom ressentent de réelles émotions pour les autres.

En bon psychopathe qu'il est, il ne vit quasiment aucune des six principales émotions humaines : joie, peur, tristesse, colère, surprise, dégoût.

SPOIL !

Il reste de glace quand la police veut lui parler, ne répond pas aux sollicitations inquisitrices puis amoureuses de Marge, s'ennuie en société, sans parler des scènes de meurtre où il n'a aucune expression en bougeant plusieurs fois les corps, où l'unique intérêt pour lui, c'est que le travail soit "bien fait" et clean. Seule exception, la logeuse, à qui il écrira qu'elle était gentille avec lui. Image d'une mère idéale qu'il n'a jamais eu.


Tom est cependant sensible à l'art (la peinture, la musique, l'écriture...) , qui le touche dans son âme par sa magie intellectuelle, son histoire personnelle ou sa sensibilité innocente (scène de la chanteuse italienne). C'est une découverte pour lui qui se sentait perdu au milieu d'une société qu'il ne comprend pas (l'humour avec "les blagues" notamment).

SPOIL !

Son chemin est désormais tout tracé, il sera marchand d'art, seule voie qui lui permet de ressentir un peu d'humanité. Chemin ouvert, et ce n'est pas innocent, par le personnage de John Malkovich, qui joua lui aussi Mr Ripley en 2002 dans "Ripley's game". Le flambeau est passé.

Ripley est une très bonne série psychologique, dramatique à souhait avec un bon suspens dérangeant et plein d'humour noir. On se laisse entrainer par ce rythme lancinant italien dont nous sommes les complices conscients dans une curiosité morbide : avouez que vous avez cliqué sur lecture pour voir le prochain meurtre, a l'air de dire Mr Ripley lorsqu'il regarde la caméra !



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